La Fabrique de Mirabeau

(Texte n°2)

Pour moi, les documents d’archives sont un monde où mon l’imagination – au sens créatrice d’images – est stimulée subtilement par l’aspect et l’odeur des liasses des papiers anciens, la graphie de leurs auteurs et le sens du texte déchiffré parfois avec difficultés.

D’approcher la vie de nos prédécesseurs, leur vie quotidienne, leur organisation sociale coopérative, leurs traditions, leurs projets, mais aussi leurs joies, leurs angoisses et leurs peines, ne cesse d’étonner mon esprit et d’emporter mon imagination.

C’est aussi un moyen extraordinaire de se cultiver et d’anticiper, car comme dit le proverbe : Qui connaît le passé, prévoit mieux l’avenir.

Voici ce que j’ai découvert sur un sujet dont j’ignorai l’existence, et dont je vais vous faire partager quelques bribes (le reste sera publié un de ces jours).

Mais qu’était-ce donc la Fabrique d’Église de Mirabeau ?

Les fabriques d’Église désignaient au sein des communautés paroissiales catholiques, une institution constituée d’un groupe de personnes qui assuraient la responsabilité de la collecte, l’administration des fonds et des revenus nécessaires à la construction, à la restauration et l’entretien courant des édifices religieux de la paroisse ainsi que de tout le mobilier qui y était associé : calvaires, argenterie, ornements liturgiques (vêtements sacerdotaux), statues, tableaux, ex-voto, luminaires, prie-Dieu, etc.

Sous l’ancien régime, les conseils de Fabrique étaient composés du curé et de quatre ou cinq marguilliers ou fabriciens, des laïcs élus ou désignés par l’ensemble des paroissiens, c’est-à-dire les habitants du village, pour leurs compétences reconnues. Ils tenaient le registre comptable et étaient chargés de l’entretien du cimetière dont l’état laissait souvent à désirer. Ils déchargeaient donc le curé de l’administration matériel de la paroisse, tâche à laquelle les prêtres n’étaient pas formés et permettaient d’assurer la continuité des affaires lorsque le curé était affecté ailleurs ou qu’il décédait subitement.

Quant on décidait de travaux, on faisait appel à plusieurs sources de revenus. Les Fabriques pouvaient vendre des rentes qu’elles avaient obtenues par donation ou offrir l’épargne qu’elles avaient constituée, notamment grâce au produit des terres en fermages ou à la location annuelle des places de bancs ou des prie-dieu.

Elles pouvaient également, si une ordonnance royale l’autorisait, faire lever une taxe, une taille, sur les propriétaires et sur les locataires ; compter sur la piétée des fidèles (les quêtes), la donation en argent d’un bienfaiteur – en général un gros propriétaire –  ou encore du seigneur local.

Le conseil de Fabrique faisait alors établir des devis qui devaient être approuvé avant de proposer l’adjudication aux entrepreneurs locaux. Souvent, la réalisation des travaux devenait source de procès sans fin, en raison des malfaçons constatées ou du dépassement courant des devis initiaux. Les conflits qui en découlaient retardaient d’ailleurs souvent de plusieurs années l’achèvement des travaux de construction ou de restauration.

C’est ainsi que l’église paroissiale Saint Pierre de Mirabeau fût reconstruite en 1613, après les guerres de religions qui bouleversèrent la Provence, sur les bases d’une petite église romane dont ne subsiste qu’une partie d’un mur, et bien entendu sous l’égide de la Fabrique. L’église fût à nouveau transformée en 1682 suite notamment à l’impulsion royale de Louis XIV qui déclarait en 1661 : «  il est donc urgent maintenant, de réparer les églises, afin de remercier Dieu, auteur de la paix ! ». Dans les villages, c’est le curé qui transmettait la voix officielle du Roi. Le curé représentait donc à la fois les autorités civiles et religieuses auprès des villageois. La vie économique suivait le rythme des activités artisanales et agricoles ; la vie sociale, ponctuée par les offices et les fêtes religieuses, tournait autour de l’église.

Plus d’un siècle plus tard, arrive la Révolution. Au début, le décret du 2 novembre 1789 mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation et laissa, au travers de dérogations, de nombreuses Fabriques poursuivre leur gestion des biens des paroisses. Il était inutile de priver les fabriciens de leurs prérogatives qui consistaient le plus souvent à empêcher qu’une chapelle ou une église ne s’écroule sur la tête de leurs ouailles. Des prêtres avaient d’ailleurs été élus aux états généraux comme députés du Tiers États. En juillet 1790, est promulguée la Constitution civile du clergé. Louis XVI, ne s’y oppose pas malgré les appels du pape. Vivant dans les campagnes au milieu des habitants, partageant souvent leurs difficultés, les prêtres de village étaient, en fonction de leur personnalité, souvent très estimés par la population. La plupart n’hésitèrent pas à prêter serment de servir la République.

Changement de ton à partir de mi-1792. Et en 1793, l’Assemblée Nationale déclarait Propriété National tous les actifs des Fabriques et les biens de l’Église dont beaucoup furent vendus pour financer la jeune République harcelée de toutes parts sur ses frontières. Certains en profitèrent pour accaparer le patrimoine de valeur contenu dans les églises, tandis que dans de nombreux villages, les communautés protégeaient les objets religieux parfois en les dissimulant.

En 1801, le concordat de Napoléon rétablit les Fabriques. Le décret du 11 juin 1804, confia aux Fabriques le monopole des services funéraires et leurs fournitures. Devenu Établissement Public du Culte, le conseil de la Fabrique comprenait alors le curé, le maire et quelques membres élus, souvent des artisans ou propriétaires au village.

Au cours du XIXe siècle, la Fabrique paroissiale de Mirabeau, reçut plusieurs donations importantes pour le patrimoine de notre commune, et notamment la chapelle de Saint Michel de Béjun.

La petite chapelle de Notre-Dame-de-la-Garrigue (ensuite appelé Notre-Dame-la-Bonne-Mère et aujourd’hui chapelle de la Bonne-Mère) sans doute construite au XIIe ou XIIIe siècles et qui était en ruine, fût complètement reconstruite en 1874 sur ses propres fondations grâce à la donation d’Ursule Daumas, veuve Pardigon. La somme d’argent offerte par legs testamentaire en 1868 à la Fabrique de l’église succursale de Mirabeau mis quelques années a intégrer les comptes de la paroisse. Les legs aux Fabriques paroissiales devaient alors être approuvés par les Préfectures. C’était la fin du second empire et la troisième République naissante avait bien du mal à trouver une stabilité.

Cette généreuse donatrice demanda par ailleurs dans son testament « de faire distribuer tous les ans, aux fêtes de Noël, 100 kilo de pain aux familles les plus pauvres de Mirabeau ». Elle donna également une pièce de terre aux religieuses qui s’occupaient de l’école des filles de la commune. Les Sœurs y firent peut-être pousser de bons légumes (forcément bio) pour les repas des gamines de l’école.

Mais revenons à nos Fabriques.

Devançant d’une année la loi 1905 de séparation de l’Église et de l’État, la loi du 28 décembre 1904 retira finalement aux Fabriques le monopole des funérailles, au grand soulagement des républicains anticléricaux. Après les remous de l’affaire Dreyfus, ceux-ci ne manquaient pas.

En 1905, les Fabriques sont supprimées. La nouvelle loi prévoit, au niveau communal, de remplacer les Fabriques par des associations cultuelles qui devait se substituer à l’État pour l’organisation du culte et acquérir les lieux pour le pratiquer. Mais le pape Pie X interdit alors au clergé français la constitution de telles associations car elles auraient selon lui bouleversé l’ordre hiérarchique de l’Église. La constitution d’associations diocésaines ne sera autorisée qu’à partir de 1924.

Aujourd’hui, des conseils de Fabriques paroissiales existent toujours sous le régime concordataire dans trois départements de l’Est de la France : la Moselle, le Haut et le Bas-Rhin.

Quant aux édifices religieux, la loi du 2 janvier 1907, stipule que ceux construits avant 1905 et qui n’ont pas été acquis par une association cultuelle (la majorité des églises de France) reste propriété de l’État qui les met cependant à la disposition des ministres du culte.

Les associations diocésaines s’occupent aujourd’hui de la gestion des frais et l’entretien du culte. Le régime particulier de propriété des édifices religieux peut passer pour une sanction injuste infligée par la République à l’Église catholique. Il représente néanmoins un avantage très considérable : c’est au propriétaire des bâtiments, donc à la collectivité – en l’occurrence notre commune – que revient l’obligation légale de leur entretient et de leur réfection. Un coût qui peut s’avérer exorbitant. D’où la nécessité de surveiller de prêt l’état des édifices et ne pas attendre pour procéder aux travaux nécessaires avec l’accord impératif des monuments historiques pour les édifices inscrits ou classés. Les édifices religieux communaux de Mirabeau et le mobilier ancien qu’ils contiennent appartiennent à tous les citoyens de la commune. Nous avons la chance d’avoir un patrimoine précieux qui témoigne par sa présence de la riche histoire de notre village. Nous en sommes collectivement responsables.

Voilà pour aujourd’hui. N’hésitez pas à m’envoyer vos commentaires et à bientôt pour la suite !

Arnoult Seveau

Association Mirabeau Patrimoine et Histoire

Août 2019

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